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2 mai 2015 6 02 /05 /mai /2015 20:29
Joli mois de Mai

Pour fêter ce joli mois de Mai qui commence, je vous offre une nouvelle écrite à cette occasion.

J'espère que vous aurez plaisir à la lire.

"Le premier Mai... le dernier"

Ils sont tous venus, comme d'habitude, pour me voir, moi la vieille tante Lisbeth.

Comme ils sont attendrissants, ils ne se doutent de rien...

C'est ce cher Arnold qui a eu l'idée de ce repas du 1er Mai, tous réunis pour ce long week-end .

La campagne, quel bonheur pour tout ce petit monde !

Arnold, mon frère, est arrivé la veille avec son épouse, l'acide Marjorie. Toujours les premiers à venir me caresser dans le sens du poil. Arnold se voit déjà propriétaire de ma maison, celle que m'a laissée Papa, maison de ma famille. C'est mon arrière grand-père maternel qui l'a fait construire au milieu de nulle part, le parc est venu ensuite avec les haies et le portail.

Quand je dis mon frère, Arnold n'est que mon demi-frère. Quelques années après le décès de Maman, Papa s'est remarié avec Gladys, la mère d'Arnold. Belle Gladys, qui cavalait de régime en régime jusqu'au moment où... une curieuse histoire. Foudroyée par une décoction de plantes de sa composition qui devait lui assurer une ligne de jeune fille.

Papa a alors cessé de s'intéresser à le gente féminine pour couler des jours paisibles dans cette maison, me laissant peu à peu « le manche de la fabrique » comme il disait.

La fabrique devenue une importante usine agroalimentaire où j'ai longtemps fait la pluie et le beau temps avant de confier les responsabilités au jeune William, mon directeur.

Arnold n'a jamais compris pourquoi Papa l'avait mis sur une voie de garage, un cabinet d'avocat dans une petite ville tranquille où il traite « des affaires de voisinage et de chiens écrasés », dixit Papa. S'il savait que son père le surnommait « le médiocre »...

Arnold attend ma mort pour récupérer la totalité de mon empire. Marjorie ravale sa bave et me sourit, mais je sais bien qu'elle me déteste.

Regardez-la battre des cils, pencher la tête, parfaite petite bourgeoise dans sa robe de soirée étriquée. C'est elle qui a décrété que, pour ce souper, nous devions nous habiller ; l'occasion pour elle de faire briller à son cou le collier de diamants que mon père avait offert à sa belle-mère.

Voyez-la donc, maman poule, gloussant avec ses poussins, arrivés en toute fin d'après-midi, parce qu'ici ils s'ennuient mortellement (je les ai entendus le dire).

Edouard, mon neveu, jeune coq, qui se dandine dans son costume trois pièces, gêné aux entournures, mais impeccable. Déjà, tout bambin, il avait le don de m'agacer avec son air de premier de la classe et avec son tic, il clignait des yeux plus que nécessaire en hochant la tête et me donnait du « ma tante » assorti de bises baveuses. Je remarque qu'il n'a pas perdu ses habitudes en même temps que ses culottes courtes. Cette année, il a amené sa fiancée, une longe jeune femme falote qui le suit partout silencieusement, une parfaite dinde, dommage pour elle, elle n'avait qu'à pas venir.

Ma nièce, Chloé, petite boulotte, on espérait qu'à la puberté ses kilos la quitteraient, espoir déçu. Saucissonnée dans une robe en strass, sans poches, elle est malheureuse car elle ne sait pas où ranger ses bonbons. Depuis son plus jeune âge, accroc au sucre, elle se gave. Elle minaude auprès de moi et dépose sur ma joue un baiser collant.

Une rivalité congénitale oppose le frère et la sœur, chacun me fait sa cour, à sa façon. J'ai pris le pli de leur donner une enveloppe avec un chèque d'une somme ridicule, ils se consolent en disant que c'est un acompte sur l'héritage.

Nous voici donc autour de la table pour ce rituel souper de 1er Mai. Chacun sa place.

Je préside, normal, je suis la maîtresse de maison. A ma droite Arnold et sa fille, à ma gauche Marjorie , son fils et sa belle dont je n'ai pas retenu le prénom... qu'importe !

Mes domestiques sont en congés pour tout le week-end, c'est donc moi qui ai préparé le repas et qui vais assurer le service. Marjorie s'en est dédouanée : la traditionnelle braderie au village où elle se pavane au bras de son avocat de mari, futur patron de l'usine.

C'est ainsi chaque année, je cuisine et je sers, ils consentent à s'occuper de la vaisselle, enfin, à la ranger dans la machine à laver. C'est Marjorie qui s’acquitte de cette tâche, à merveille du reste, les mains protégées par ses gants en caoutchouc.

Je les regarde manger silencieusement mon potage aux herbes. Ils ont eu de la chance, j'avais prévu une soupe du 1er Mai. Vous n'avez pas compris ? Au muguet, tout le monde sait que cette fleur est toxique, pas vous ?... Je ne vous ai rien dit.

Puis, je me suis ravisée. A quoi bon n’impliquer alors que je pouvais faire porter le chapeau à Marjorie, cette chère Marjorie. Chaque année, elle apporte un croustillant feuilleté aux morilles, fabrication « exclusive » de son traiteur. « Aux morilles » insiste-t-elle en gloussant, la bouche en cul de poule. Je n'en mange jamais, je déteste les champignons, presque autant que Marjorie. Bref, l'idée m'est venue de soulever le couvercle de ce feuilleté, de saupoudrer la préparation de morilles à la crème avec une poudre de ma composition, trois fois rien, quelques amanites phalloïdes que j'avais fait sécher et broyées.

Comme ils se régalent, cela fait plaisir à voir !

Marjorie me décoche un regard assassin, je suis la seule à ne pas goûter cette merveille.

Un fugace instant, j'ai pitié d'eux, je suis à deux doigts de leur dire...

Non. Je dois aller au bout : quand le vin est tiré, il faut boire la coupe jusqu'à la lie. Allons donc.

Pour être dans le ton, je prétexterai, moi aussi, une légère indisposition, juste histoire de ne pas leur mettre la puce à l'oreille.

Marjorie s'applique à ne pas laisser une seule miette, Arnold fait de même, tandis que la dinde d'Edouard picore les champignons et glisse la pâte dorée dans l'assiette de mon neveu. Quant à Chloé, il y a belle lurette qu'elle a tout englouti et liquidé son verre de vin.

Je m'enfuis à la cuisine, ma joie est trop forte.

A l'abri des regards, je jubile.

J'enchaîne le rôti de bœuf avec ses haricots verts, le plateau de fromage et la tarte aux fraises.

Au café, Marjorie a pâli, elle ne dit rien, mais je sens que les champignons commencent à produire leur effet. Arnold sort fumer un cigare. Edouard et sa compagne montent se coucher sous les plaisanteries coquines de Chloé qui, le nez enfoui dans un sachet, s'empiffre de sucreries.

Je débarrasse la table et du coin de l’œil je les observe, c'est la dernière fois que je les vois vivants.

Bientôt, j'annonce que je suis fatiguée, un peu barbouillée, sans doute avons-nous trop mangé. Ils sont tous de mon avis et nous nous retirons dans nos chambres.

La longue nuit commence.

Curieusement, je me remémore avec quelle insouciance j'avais jeté ce brin de ciguë dans la décoction de cette pauvre Gladys, il avait suffi de soulever le couvercle et hop ! Petit rameau insignifiant perdu parmi les plantes de ce breuvage miraculeux, élixir de jouvence, de jeunesse éternelle.

Ce soir encore, cela avait été tellement facile. Quelques pincées de poudre seulement avaient été nécessaires. Je suis prête à affronter la suite : l'enquête, l'enterrement, tout. Personne n'ira jamais penser que... à moins que vous... Non, n'est-ce pas ? Je compte sur votre discrétion.

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commentaires

M
Quel plaisir que cette lecture que je découvre! Bravo Pascale! J'aime ce rire grinçant et cette horrible tante Lisbeth! Belle galerie de portrait au vitriol !
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